[Tribune] : « LES CONTRATS ODIEUX » (Dede Watchiba)

Une.cd

10 Août 2022 - 17:49
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[Tribune] : « LES CONTRATS ODIEUX » (Dede Watchiba)

Quand on analyse les différentes révélations faites ces derniers temps sur la gestion des mines congolaises par différentes sources (Congo hold-up, rapport de l’Inspection Générale des finances, rapport du collectif congolais d’anti-corruption « Le Congo n’est pas à vendre », le documentaire « opération Gertler » diffusé par la chaine de télévision israélienne « Kan »), etc.), il apparaît clairement que, dans les différents contrats de joint-venture signés pour l’exploitation de mines congolaises, les compagnies minières étrangères, avec la complicité des quelques congolais corrompus, avaient intentionnellement sous-estimé la quantité et la valeur des réserves des mines du pays et ces mêmes compagnies minières étrangères continuent à sous-déclarer la valeur de leurs exportations de minerais congolais.

Il est révoltant de réaliser que les autorités congolaises ont accepté de signer de tels contrats léonins et dolosifs, conclus au détriment des intérêts du peuple congolais. Comment expliquer et comprendre qu’on signe un contrat minier dans lequel on donne 250 millions de dollars au gouvernement congolais et en contrepartie on attribue à une société étrangère le droit d’exploiter pendant plus de 25 ans toutes les quantités de minerais stratégiques possibles (cobalt, cuivre, etc.) se trouvant dans un gisement, sans une clause de plafonnement de quantités à exploiter et sans certification scientifique et objective préalable de la valeur du gisement contractuel en question.

Pour exploiter une mine dont les réserves seraient estimées à plus de 150 milliards de dollars par exemple, une société peut faire des investissements de moins de 2 milliards de dollars et obtenir curieusement en contrepartie le droit (un jackpot) illimité consistant à exploiter et profiter seule de tous les revenus liés à la vente de ces minerais (sans une clause sur le partage équitable de revenus avec la partie nationale et sans un dispositif sérieux de vérification de quantités extraites et exportées malgré les 20% habituellement et honteusement accordés à la partie congolaise). Avec des avantages fiscaux énormes liés au code minier et au code des investissements, cette société aura amorti très rapidement son investissement et peut au bout de 10 années, engranger des bénéfices de près de centaines de milliards de dollars et en contrepartie le gouvernement congolais n’aura reçu que moins d’un milliard de dollars. Et dans ces modiques sommes payées à la partie congolaise, l’essentiel finit souvent par être détourné. Le dindon de la farce reste donc le peuple congolais.

Cette situation donne la mesure de l’étendue du bradage de ressources naturelles de la RDC avec une classe politique constituée en grande partie des vrais marchands de sommeil.

Avec la transition énergétique en cours au niveau mondial, la RDC est souvent perçue comme pays solution avec ses importants gisements de cobalt, lithium, coltan etc. Quand on dit que la RDC détient plus de 80% de cobalt du monde, ce n’est plus vrai puisque ce sont les entreprises minières étrangères qui détiennent et contrôlent les réserves congolaises et leur exploitation.
En réalité, nos mines ne sont plus nos mines. Elles appartiennent en grande partie aux groupes financiers extérieurs puisque bradés par ses propres fils. Je suis personnellement outré par cet état des choses.

Les générations futures de congolais, même après plusieurs siècles, vont nous interpeller et nous accuser collectivement, nous les contemporains de cette époque, de complicité pour n’avoir pas eu l’ardeur à combattre cet état des choses qui s’apparente à la trahison. On voit véritablement que le manque à gagner colossal dans l’exploitation de nos richesses minières pouvait nous aider à financer un grand programme de construction des infrastructures nécessaires pour le développement du pays (routes, voies ferrées, hôpitaux, écoles, équipement de l’armée, agriculture, industrie, etc.).

Avec cette gestion calamiteuse de nos ressources, comment s’étonner par exemple que la ville de Gemena, chef-lieu de la province du sud-Ubangi, plus d’un siècle après sa création, puisse se retrouver aujourd’hui avec aucune route asphaltée. Le pays est devenu la risée du monde entier dans plusieurs domaines.

Que faire donc ? Pour le moment, c’est qu’il va falloir faire est de mettre la machine en branle pour réexaminer tous les contrats miniers signés et insuffler une nouvelle dynamique. C’est un appel à l’action.

Comme nous l’avons dit plus haut, la plupart de partenaires étrangers (co-contractants de l’Etat congolais) ont intentionnellement sous-estimé les réserves de mines du pays. Cela s’appelle en Droit « Dol » et constitue une raison valable de révision du contrat. Le dol est l’ensemble des agissements trompeurs ayant entrainé le consentement qu’une des parties à un contrat n’aurait pas donné, si elle n’avait pas été l’objet de ces manœuvres. C’est donc une erreur « provoquée », autrement dit, le consentement de la partie congolaise a été vicié par les manœuvres ou le mensonge de l’autre contractant (vice du consentement). En Droit, le dol est sanctionné par le juge par la nullité du contrat.

D’autre part, dans la plupart de ces rapports publiés sur la gestion des mines de la RDC, il est établi qu’il y a eu des cas de corruption pour obtenir la signature des autorités publiques dans la conclusion de ces contrats miniers. En Droit administratif, quand une action publique ne vise pas l’intérêt général, il y a « détournement de pouvoir » et c’est un excès de pouvoir (une forme d’illégalité) et l’acte juridique découlant de cela doit être annulé (à l’occurrence ici un contrat).

Ce qui est plus saisissant, dès lors que la signature des contrats de partenariat dans le domaine minier était plus dictée par les intérêts privés des autorités, tous ces contrats incriminés ont un caractère « odieux » et doivent être de ce fait dénoncés et revus en conformité avec l’intérêt général. Les contrats odieux sont une forme typique d’arbitraire et doivent être « corrigés ». Les responsables doivent être poursuivis et sanctionnés. Ce n’est pas ici un débat sémantique mais une question d’extrême importance pour le peuple congolais.

Nous devons exploiter nos richesses naturelles avec des contrats qui mettent en avant des modalités les plus avantageuses possibles pour le pays.

Malheureusement, les corrompus et les malhonnêtes continuent à proliférer dans la classe politique congolaise. Depuis plusieurs décennies, la classe politique congolaise a construit sa fortune grâce à la corruption et au détriment du peuple congolais. Il faut tirer les leçons du passé pour que l’exploitation de nos blocs pétroliers et gaziers ne tombe pas dans ce genre de travers et dérives.

Une fois encore, je répète, le défi majeur pour le pays consiste à transformer la RDC d’un Etat défaillant en un Etat fonctionnel.

Professeur d’Universités et Chercheur, Dede Watchiba
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