[Tribune] : « RETOUR DE LA GUERRE D’INFLUENCE EN AFRIQUE » (Dede Watchiba)

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27 Juillet 2023 - 17:35
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[Tribune] : « RETOUR DE LA GUERRE D’INFLUENCE EN AFRIQUE » (Dede Watchiba)

Avec le chassé-croisé qui s’observe ces derniers temps en Afrique, avec comme point d’orgue la tournée du ministre des Affaires étrangères de la Russie, Serguei Lavrov et du président français, Emmanuel Macron dans plusieurs pays africains, il s’observe que l’Afrique est l’objet de regain de toutes les convoitises et est courtisée actuellement par les grandes puissances mondiales dans la dynamique de la recomposition géopolitique mondiale.

Avec la chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’URSS en 1991, le politologue Francis Fukuyama, professeur américain à l’université de Stanford, avait publié en 1992 son essai au retentissement mondial : « La Fin de l’histoire et le dernier homme ». À l’époque, la guerre froide est finie, la Seconde Guerre mondiale n’est plus qu’un mauvais souvenir et le monde, selon Fukuyama, se trouve à l’aube d’une civilisation humaniste, démocratique et libérale. La libération des pays qui vivaient sous le joug du totalitarisme annonce selon lui la victoire définitive de la démocratie libérale. Fukuyama pensait que bientôt, elle se répandra comme une traînée de poudre sur la planète, semant partout le modèle incarné par les États-Unis triomphants.

En réaction à la thèse de Fukushima, un autre politologue américain, professeur Samuel Huntington, publie en 1996 son célèbre ouvrage « The Clash of Civilizations » dans lequel il présente sa théorie sur le « choc des civilisations ». Sa thèse centrale repose sur la description d’un monde divisé en huit civilisations : occidentale, slave-orthodoxe, islamique, africaine, hindoue, confucéenne, japonaise et latino-américaine.

Une civilisation est, selon Huntington, « le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer ». Pour lui, la civilisation se définit par des éléments objectifs, comme la langue, l’histoire, la religion, ainsi que par des éléments subjectifs d’auto-identification.

La notion de « choc » en découle : un conflit a plus de chance de devenir une crise majeure s’il met aux prises des États issus de civilisations différentes. Autrement dit, l’existence même de ces civilisations différentes annonce une conflictualité irréductible sur la scène internationale.

Cette conflictualité ne serait plus le fait de modèles idéologiques ou économiques concurrents, caractéristiques de la Guerre froide, mais d’une confrontation entre aires civilisationnelles.

Trente ans après la chute du Mur, les sujets de tension s’accumulent entre puissances mondiales et le monde connaît l’une des plus grandes crises de son histoire avec le déclenchement de la guerre opposant la Russie à l’Ukraine.

En toile de fond de cette guerre s’observe un retour à la guerre d’influence sur le terrain africain. La Russie, les Etats-Unis, l’Union européenne, la Chine, chacun veut gagner du terrain par rapport à l’autre comme à l’époque de la guerre froide. Un véritable bras de fer est en train de se jouer actuellement pour faire pencher l’Afrique dans l’un ou l’autre camps. On assite à un établissement d’alliances dans tous les sens et dans tous les domaines.
Là où le bât blesse est que chacune de ces puissances essaie d’exploiter les faiblesses africaines pour se positionner sur le plan géopolitique : crise sécuritaire, crise alimentaire, pauvreté généralisée. On s’abreuve du mythe de la coopération pour engager de nouveau l’Afrique dans une spirale de confrontation entre puissances.

Ce qui nous préoccupe en premier lieu est qu’il n’est pas certain que les dirigeants africains retiennent les leçons du passé en matière de lutte d’influence sur le continent. C’est une dimension assez mal connue de la problématique africaine. Pourtant il y a un passé à éclaircir pour garantir l’avenir du continent. On ne doit pas continuer avec les erreurs stratégiques et tactiques commises durant la période de la guerre froide. En effet, durant l’épisode de la guerre froide, la collision entre les élites africaines et les puissances de 2 camps en compétition n’a pas aidé l’Afrique à se développer et à régler ses problèmes de fond. Il faut se rappeler par exemple des revers de la Françafrique.

Les dirigeants africains actuels doivent avoir déjà de la lucidité pour comprendre que beaucoup de ces puissances qui miroitent le bonheur aux africains, n’auront pas objectivement de moyens de leur politique annoncée en Afrique, compte tenu de leur situation générale interne. Cela se voit comme un nez au milieu de la figure. Il va falloir donc redoubler de vigilance.

La génération actuelle des dirigeants africains ne doit absolument qu’être guidée par les véritables intérêts du continent qui ne se résument qu’au bien-être des africains. Ces dirigeants africains ne doivent pas se laisser facilement instrumentaliser au gré des intérêts de puissances extérieures. Pour cela, les pays africains sont appelés à diversifier leur coopération avec plusieurs puissances pourvu que cela serve de manière lucide les intérêts de leurs pays respectifs, sans nécessairement se ranger ostensiblement derrière l’un ou l’autre camps. Les gouvernants africains doivent faire montre d’intelligence géopolitique et arriver à promouvoir le savoir-faire africain au niveau mondial.

A force de faire de la morale aux africains, cela finit par agacer. La réalité et la méfiance vis-à-vis des travers du paysage géopolitique mondial forgent les africains à développer une carapace qui les retient de toute évolution néfaste pour les intérêts du continent.

Professeur d’Universités et Chercheur, Dede Watchiba

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