[Tribune] : « Confusion sur une ordonnance présidentielle, rappel des fondamentaux du droit administratif », (Dede Watchiba)

Une.cd

5 Juin 2023 - 14:31
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[Tribune] : « Confusion sur une ordonnance présidentielle, rappel des fondamentaux du droit administratif », (Dede Watchiba)

Notre réflexion de cette semaine porte sur une entorse aux fondamentaux du Droit administratif. En effet, nous avons sous nos yeux 2 ordonnances qui auraient été signées par le Chef de l’Etat le même jour (11 novembre 2022) et portant les mêmes références (n° 22/229) mais curieusement qui ont un contenu différent.

Ces 2 ordonnances portent sur une même matière en l’occurrence la nomination des membres du Conseil d’administration et de la Direction générale d’une entreprise du portefeuille de l’Etat dénommée « Compagnie sucrière de Kwilu-Ngongo SA ». Pour en avoir le cœur net, nous avons pu contacter la Direction actuelle de cette entreprise.

Après ces contacts, il y a un faisceau d’éléments qui prouvent l’authenticité de ces anomalies et confirment qu’on est au-delà de l’absurdité et de l’incompétence mélangées.

Avec ce laxisme au niveau des exigences du Droit, l’image du pays est mise à mal puisqu’on est en train de tomber dans l’irrationnel complet. Ce n’est pas comme cela qu’on va changer le narratif en apparaissant comme un pays avec des mœurs administratives particulières et insolites. Tenir des discours réformistes ne suffit plus, il faut agir.

Ce qui est aberrant est que tous les juristes de la Présidence de la République, de la primature et du ministère du portefeuille sont censés savoir qu’il existe des solutions pour « corriger » éventuellement un acte administratif unilatéral en l’occurrence une ordonnance qui comporterait des « erreurs ou omissions » .

Il convient de noter ici que je ne suis dans aucun procès d’intention contre qui que ce soit. Pétri d’engagement citoyen et pour éviter une surenchère politicienne, nous abordons cette problématique sous l’angle scientifique, en parfaite osmose avec le Droit administratif.

Alors qu’en dit la Science ? Nous revenons aux fondamentaux du Droit administratif.

Les règles d’élaboration des actes administratifs unilatéraux sont très disparates du fait de l’existence d’un très grand nombre de types d’actes. Cependant, il est possible de dégager certaines constances.

Il est clair que tout acte administratif unilatéral, en ce qu’il créé une norme juridique contraignante, doit nécessairement avoir été pris par une autorité administrative compétente.

Cette notion de compétence revêt trois dimensions : territoriale (ratione loci) : une autorité administrative ne peut en principe exercer sa compétence en dehors du territoire pour lequel elle est investie. Ainsi, un bourgmestre ne peut prendre des décisions concernant les communes limitrophes; matérielle (ratione materiae) : une autorité administrative ne peut en principe exercer sa compétence dans des domaines pour lesquels elle n’est pas compétente ; et la compétence temporelle (ratione temporis) : une autorité administrative n’agit que dans le timing prévu par les textes de Droit.

Lorsqu’il ne prévoit pas de durée, qu’il n’a pas épuisé ses effets (caducité) ou qu’il n’a pas été annulé ou déclaré inexistant par le juge administratif, l’acte administratif s’applique jusqu’à ce qu’il lui soit mis un terme. À cette fin, l’auteur de l’acte (parallélisme des formes et acte contraire), peut l’abroger ou le retirer.

Quels sont les moyens d'annulation d'un acte administratif unilatéral ?

La sortie de vigueur des actes administratifs unilatéraux peut prendre, outre le cas de l'annulation contentieuse, deux formes, le retrait et l'abrogation.

Le retrait implique la rétroactivité, c'est-à-dire qu'en cas de retrait, la décision retirée est réputée ne jamais avoir existé. Le retrait d'un acte administratif est l'annulation par l'autorité administrative compétente de cette décision, de sorte que ses effets tant passés qu'à venir sont supprimés et entraînent donc la disparition totale de l'acte de l'ordonnancement juridique.

Quant à l'abrogation, il est l'acte par lequel l'administration décide, explicitement ou implicitement, de mettre fin pour l'avenir à l'existence de tout ou partie d'un acte antérieur. L'abrogation n'a d'effets que pour l'avenir; la décision abrogée bénéficie donc d'une existence juridique pour la période antérieure à son abrogation.

En clair, pour le cas d’espèce concernant la sucrière de Kwilu Ngongo, au lieu de se retrouver avec 2 ordonnances avec les mêmes références et même date de signature mais au contenu divergent, il aurait fallu retirer la 1ère ordonnance ou l’abroger en bonne et due forme.

Tout cela est à structurer dans un modèle d’organisation rationnel. Nous avions déjà fait une proposition d’un modèle d’organisation du cabinet du chef de l’Etat à titre indicatif dans notre avant dernier livre intitulé : « Autopsie du dysfonctionnement de l’Etat congolais ». On ne peut pas se satisfaire du statu quo.


Dede Watchiba, Professeur d’Universités, Chercheur et Analyste Politique

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