[Tribune] : «Fluidifier la circulation à Kinshasa : Solutions concrètes pour résoudre les embouteillages», (Dédé Watchiba)

Kinshasa, la capitale de la RDC, est une ville en pleine expansion, mais elle fait également face à un problème grandissant : les embouteillages. Circuler dans les rues de Kinshasa est devenu une épreuve quotidienne pour de nombreux habitants, avec des heures perdues dans des congestions monstres. La situation est d'autant plus préoccupante que les embouteillages semblent être pris à la légère par les autorités publiques, créant un sentiment de résignation parmi la population. Les élites intellectuelles ont aussi détourné les yeux de ce problème public. Les sujets importants de la vie publique sont éclipsés par des discussions stériles autour de la politique politicienne.

Pourtant, les embouteillages ne sont pas une fatalité. Des nombreuses métropoles dans le monde ont réussi à atténuer ce fléau grâce à des approches innovantes et des solutions rationnelles. Il est temps que Kinshasa suive leur exemple et s'attaque sérieusement à cette problématique qui entrave la vie quotidienne de ses habitants. 

Personnellement, je refuse ce fatalisme social dominant, c’est pourquoi je reviens encore avec cette réflexion autour de cette problématique cruciale pour la vie des kinois. J’avais, dans plusieurs tribunes passées,  identifié les causes sous-jacentes des embouteillages à Kinshasa, et maintenant je vais me focaliser sur des propositions des solutions inspirées des meilleures pratiques internationales, et à encourager une politique publique axée sur la mobilité urbaine durable. En nous appuyant sur des exemples concrets et des idées éprouvées, nous cherchons à ouvrir la voie vers un avenir où les embouteillages ne seront plus synonymes de frustration, mais de mobilité fluide et efficiente pour tous les Kinois.

Causes des embouteillages à Kinshasa

Tout en n’étant pas un expert en la matière et en attente des explications lumineuses des spécialistes, je rappelle ici d’une « manière ramassée », sans la prétention d’être exhaustif, quelques causes d’embouteillage en RDC (que j’avais déjà partagées dans une précédente tribune) à partir de ma propre expérience et observation. Certaines de ces causes peuvent trouver solution à l’immédiat, à court, moyen et long terme :

- L’indiscipline généralisée des usagers de route qui se traduit par le non-respect du code de la route (par exemple, des voies à sens unique sont souvent violées impunément par des taxi bus, taxis, véhicules officiels, etc.) 
- Les comportements irresponsables (anti-valeurs) de la police routière (corruption, tracasseries) ; Celle-ci opère souvent pour aggraver le problème d’embouteillage que pour apporter la solution 
- La méconnaissance du code de la route par les usagers et les agents de la police routière chargés pourtant d’assurer son respect
- La vétusté de véhicules en circulation qui est à la base de beaucoup de pannes sur les routes et compliquent la fluidité de la circulation
- L’inexistence de service fourrière pour dégager les véhicules en panne ou en contravention
- Le mauvais état de routes (principales et secondaires) 
- Le manque de signalisation adéquate sur les rares routes en bon état (quasi-absence du marquage au sol et des feux)
- Le manque de réactivité de l’Office de voirie et drainage (OVD) pour boucher rapidement des petits trous qui apparaissent sur des voies principales (ils finissent par devenir des gros trous et rendent la chaussée impraticable)
-  La multiplication des routes inutilement barrées
-  Le manque de moyens de transport multimodal (train urbain, transport fluvial, etc.)
-  L’absence de bonnes approches de déviation en cas de construction d’ouvrages d’art collectifs (routes, ponts, etc.) 

Pistes de solution

Il est indéniable que les embouteillages à Kinshasa sont un problème majeur qui affecte la qualité de vie des habitants, la productivité économique et l'environnement. A chacune de causes, il faut des stratégies rationnelles et adaptées pour apporter des solutions durables. il faut donc une politique publique solide pour régler sérieusement la problématique d’embouteillage dans nos villes. 

Pour résoudre ce problème de manière rationnelle et durable, voici quelques propositions basées sur des solutions mises en œuvre dans d'autres grandes villes du monde et sur des spécificités du contexte kinois :

1. Éducation et sensibilisation :
• Mettre en place des campagnes de sensibilisation pour les usagers de la route afin de promouvoir le respect du code de la route.
• Former les agents de la police routière sur le code de la route et mettre en place des mesures anti-corruption strictes.
2. Amélioration des infrastructures :
• Investir massivement dans l’entretien, la maintenance et la modernisation des routes principales et secondaires.
• Renforcer la signalisation routière, y compris le marquage au sol et les feux de signalisation.
3. Transport multimodal :
• Introduire des systèmes de transport en commun efficaces tels que le train urbain, les bus rapides en site propre et les ferries (transport fluvial sur le fleuve) pour réduire la dépendance à la voiture individuelle. Le terme "site propre" indique que les bus circulent sur une voie qui leur est exclusivement réservée. Il existe souvent une séparation physique entre la voie réservée aux bus et les autres voies de circulation. Cela peut être sous la forme de barrières physiques, de bornes, de trottoirs surélevés, ou d'autres dispositifs.
• Promouvoir le covoiturage pour réduire le nombre de véhicules sur la route.
4. Gestion des véhicules en panne ou en contravention :
• Établir un service de fourrière efficace pour dégager rapidement les véhicules en panne ou en contravention.
• Mettre en place des contrôles routiers plus stricts pour dissuader les comportements irresponsables.
5. Planification urbaine :
• Élaborer un plan d'urbanisme à long terme pour la ville de Kinshasa, en prenant en compte la croissance démographique et les besoins de mobilité.
• Réfléchir à des solutions d'aménagement urbain, comme la création de zones piétonnes et de pistes cyclables pour encourager des modes de déplacement alternatifs.
6. Gestion de la construction :
• Mettre en place des plans de déviation efficaces lors de la construction d'ouvrages d'art collectifs, afin de minimiser les perturbations de la circulation.
7. Participation citoyenne :
• Encourager la participation active des citoyens dans la prise de décisions liées à la mobilité urbaine, en organisant des consultations publiques et en recueillant leurs suggestions.
8. Formation des autorités :
• Organiser des séminaires et des formations pour les autorités publiques sur la gestion des politiques publiques et la résolution des problèmes de l'action publique. Il est important que toutes nos autorités puissent avoir des notions de base sur les politiques publiques ; elles doivent comprendre ce que sont les politiques publiques, comment elles se réalisent, quels sont les acteurs qui y participent. Les politiques publiques ne se développent pas d’elles-mêmes. Elles sont mues par le pouvoir des acteurs politiques. Nous sommes prêts à apporter notre contribution en animant des séminaires dans ce sens en faveur des autorités publiques du pays.

Il est essentiel de mettre en place une approche globale et coordonnée pour résoudre le problème des embouteillages à Kinshasa. Cela nécessitera une collaboration entre les autorités publiques, la société civile, les experts en transport, et une volonté politique pour mettre en œuvre ces solutions de manière efficace et durable. 

En s'inspirant des bonnes pratiques de gestion de la mobilité urbaine dans d'autres villes du monde, Kinshasa peut espérer améliorer considérablement la fluidité de la circulation et la qualité de vie de ses habitants. A titre illustratif, la ville de Bogota (Colombie) a mis en place un système de bus rapides en site propre appelé TransMilenio qui dispose de voies dédiées et de stations modernes. Ce système a augmenté l'efficacité des déplacements en réduisant les temps de trajet. Copenhague (Danemark) a massivement investi dans un réseau de pistes cyclables bien aménagées. Aujourd'hui, plus de la moitié des habitants de la ville utilisent le vélo comme principal moyen de transport, réduisant ainsi la congestion routière.

Londres a introduit une taxe de congestion pour les véhicules circulant dans le centre-ville aux heures de pointe. Cela a encouragé l'utilisation des transports publics et réduit le nombre de voitures en circulation.

Tokyo dispose d'un vaste réseau de trains et de métros bien connectés. Les trains sont fréquents, ponctuels et offrent une alternative efficace à la conduite en voiture.

Singapour a mis en place un système de péage électronique où les conducteurs sont facturés en fonction de l'heure et de la congestion. Cela encourage les gens à éviter de conduire aux heures de pointe.

Stockholm (Suède) a introduit une taxe de congestion qui varie en fonction du niveau de trafic. Elle a contribué à réduire la congestion et à financer des améliorations du système de transports publics.

Ces exemples montrent comment différentes villes du monde ont adopté des approches variées pour lutter contre les embouteillages. En s'inspirant de ces réussites et en adaptant les meilleures pratiques à la réalité de Kinshasa, il est tout à fait possible d'améliorer considérablement la mobilité urbaine et de réduire les embouteillages dans la ville.

En conclusion, les embouteillages à Kinshasa représentent un défi majeur pour la ville, mais ils ne sont pas insurmontables. Les exemples tirés d'autres grandes métropoles montrent que des actions concertées peuvent transformer la mobilité urbaine et réduire considérablement les embouteillages.

Professeur d'Universités, Chercheur et Analyste politique, Dédé Watchiba