[Tribune] : « Se poser des bonnes questions sur le plan militaire » (Dede Watchiba)

Dans l’astrophysique de la politique congolaise, la classe politique (pouvoir et opposition) en général gravite autour des questions qui se rapportent au gain personnel de l’argent et du pouvoir tout en délaissant d’une manière inconsciente la réflexion essentielle sur le devenir de la nation.

Pour prendre encore le pouls de la situation à l’Est de la RDC, on constate que l’ennemi est en train de gagner du terrain. Il a toujours une longueur d’avance sur nos troupes qui battent en retraite. Des défaites au goût amer. Devant cette situation gravissime, on se rend compte que la classe politique en général vit dans le déni de l’évidence : l’ennemi grignote du terrain de manière inquiétante et l’intégrité de notre territoire est menacée.

Avec cette guerre, on est au cœur d’une énigme spéciale puisqu’on a perverti le sens de la réflexion rationnelle. Le manque de lucidité stratégique et tactique coûte cher à notre armée. On est dans un dogmatisme complet en rejetant systématiquement l’évaluation, la critique ou le doute. On veut toujours refaire la même chose sur le terrain. Il est important de mettre de côté les idées reçues en développant un savoir-réfléchir rationnel.

Il faut changer notre façon de lire notre réalité dans sa complexité. Les congolais refusent d’admettre l’évidence :  le pays est faiblement défendu en réalité dans la mesure où on aligne un dispositif militaire inadapté face aux enjeux de l’heure. Le pays demeure vulnérable sur le plan militaire puisque depuis des années on a commis des erreurs stratégiques qui se sont avérées fatales et cela coûte inutilement des vies humaines.

Face à cette situation, il faut qu’on se pose des bonnes questions. Comment expliquer l’avancée facile de l’ennemi face à notre armée ? Qu’est ce qui favorise la capacité de l’ennemi à gagner du terrain ? Les capacités de management militaire de l’armée congolaise sont à interroger depuis 1960. Les FARDC doivent apprendre de leurs erreurs.

Je salue ici l’excellente réflexion faite par mon compatriote Jean Jacques Wondo le 5 février dernier sur la difficulté qu’éprouve notre armée à défaire le M23. Il s’inscrit totalement dans ma démarche d’évaluation de notre stratégie pour tirer les leçons et corriger les erreurs. Il appartient maintenant aux autorités congolaises d’en faire une bonne lecture et d’en tirer les conséquences en prenant en mode urgence des mesures appropriées pour changer la donne sur terrain. Il faut une politique de rupture totale sur le plan militaire qui va augurer un changement véritable de cap dans le système de défense du pays. Il faudrait changer les fondamentaux de notre système de défense. L’indécision politique risque de continuer à tuer indirectement plus les congolais à l’Est du pays.

On sait pertinemment bien qu’une victoire au front peut remonter le moral des congolais, qui se verraient exaltés par le succès de leur armée. Il est grand temps de mettre fin au calvaire et à l’humiliation que subit ce peuple au quotidien.

Je répète : après avoir subi des revers sur le champ de bataille, nous devrions tirer toutes les leçons pour nous réorganiser. Savoir si on est véritablement sur la bonne trajectoire. Nous devons avant tout avoir un système de défense fort et efficace avant de nous évertuer à replacer la RDC sur la scène internationale. La réorganisation de fond en comble de l’armée congolaise sera le tournant du conflit à l’Est. Autrement, ça serait du leurre et du bluff.

Malheureusement, le pays fait le frais des choix politiques fourrés depuis son accession à l’indépendance avec des politiques publiques chroniquement malsaines et inadaptées.

Depuis des décennies, la culture politique de prédation dominante dans le pays a généré une inconscience et une irresponsabilité générales face aux véritables défis du pays. Comme conséquence de tout cela : le système politique et social de la RDC bat de l’aile.

Professeur d’Universités, Chercheur et Analyste Politique, Dede Watchiba