[Tribune] PROBLEMATIQUE DE L’EFFICACITE DE L’ARMEE DE LA RDC (Dede Watchiba)

Une.cd

2 Décembre 2022 - 22:33
 0
[Tribune] PROBLEMATIQUE DE L’EFFICACITE DE L’ARMEE DE LA RDC (Dede Watchiba)

Le 24 novembre 2022, au cours du point de presse au lendemain de la signature de l’accord de cessez-le-feu de Luanda, le ministre des Affaires étrangères de la RDC, Christophe Lutundula a reconnu que les Forces armées de la RDC n’arrivaient pas à bien assurer la défense de l’intégrité du territoire national.

Étant congolais, cet aveu de faiblesse de notre système de défense a éveillé ma curiosité scientifique et m’a poussé à creuser davantage pour comprendre les raisons profondes de cette contreperformance, qui apporte chaque jour son lot de frustrations et d’humiliation. Nous n’attendons plus subir chaque fois les agressions étrangères avec passivité. Aucune rébellion ou attaque étrangère n’entamera la détermination de congolais de vivre dans l’unité nationale.

J’ai le pressentiment et la crainte que la mauvaise gestion de cet accord de paix risque d’être le point de bascule géopolitique et bouleverser tous les équilibres (géopolitiques et géostratégiques) de la sous-région en défaveur de la RDC, mon pays.

Aussi, en réponse à la propagande insidieuse de nos ennemis, je ne pense pas qu’être patriote, c’est être émotionnel et verser systématiquement dans les contrevérités en distillant par exemple des fausses informations sur la récupération de Bunagana par nos forces armées au moment où la réalité sur terrain est toute autre. Au finish, on devient ridicule. Dans un contexte de guerre, il est certes normal d’éviter la diffusion des propos défaitistes mais nous devons nous regarder dans le miroir afin de corriger nos faiblesses et consolider nos forces.

Il faut être rationnel, garder l’esprit critique et regarder la réalité en face. Il ne faut pas travestir l’histoire comme la majorité de congolais le font. La cécité intellectuelle qui caractérise l’écrasante majorité de congolais dans l’appréciation de la situation du pays, ne nous aide pas à régler le problème de fond. Il faut faire une bonne analyse de situation avant d’envisager des solutions appropriées.

Au-delà donc des émotions liées au chauvinisme qui affectent le sens de discernement de la majorité de congolais, un minimum de lucidité nous révèle que la guerre contre le M23 et ses alliés rwandais a mis en lumière les limites de notre système de défense. Comment faire pour changer la donne ?

Nous avons jugé utile de revisiter objectivement les points saillants de l’histoire militaire de la RDC pour mieux comprendre l’état actuel de nos forces armées et tirer les leçons à la fin.

Des données historiques objectives démontrent à suffisance que notre armée éprouve des difficultés à assurer sa mission depuis notre accession à l’indépendance en 1960. Pourtant cette même armée s’était illustrée pendant la période coloniale par des hauts faits d’armes reconnus par les principales puissances et les plus grands historiens.

Le célèbre mercenaire Jean Schramme, en parlant de l’armée congolaise sous la colonisation belge, dans son ouvrage « Le bataillon Léopard – Souvenirs d’un Africain blanc », (Ed. Robert Laffont 1969, p.16-17), il affirme avec conviction : « Je crois que c’était la plus belle armée d’Afrique […] Essentiellement mobile, la Force Publique circulait sans cesse par toutes les pistes du Congo, vivant témoignage d’ordre, de justice et de discipline. Depuis 1886, elle n’avait connu que des jours de gloire ».

Période coloniale

Les premières troupes organisées du Congo, connues sous le nom de la Force publique (FP), furent créées en 1885 par Camille Coquilhat lorsque le roi Léopold II de Belgique qui venait de prendre possession du pays sous le nom d’Etat indépendant du Congo (EIC), commanda à son ministre des Affaires Intérieures de créer une force militaire et de police sur ce nouveau territoire.

La Force publique, composée en majorité des Congolais sous l’encadrement belge, était la force armée exerçant aussi des fonctions de police pendant la période coloniale.

La première mission de la Force publique fut d’assurer la mainmise sur le territoire de l’Etat Indépendant du Congo, notamment à l’Est (Maniema et Kivu) où prospéraient les États swahilis dirigés par de riches commerçants bantous, originaires de Zanzibar. Esclavagistes, trafiquants d’ivoire, et de confession musulmane (d’où l’utilisation abusive du terme « arabes »), les marchands swahilis furent vite caricaturés dans la presse occidentale, ce qui permit à Léopold II de vendre à l’opinion internationale sa guerre personnelle comme une croisade anti-esclavagiste. Le conflit ne tarda pas à éclater et la Force publique entreprit entre mai 1892 et janvier 1894 une série de campagnes militaires sous le commandement de Francis Dhanis. Au plus fort de l’engagement, à la fin de l’année 1892, environ 100 000 Arabo-Swahilis répartis en plusieurs armées seront opposés et vaincus par 120 Européens à la tête de 3 500 soldats réguliers.

En 1914, la Force publique comprenait environ 17 000 hommes, la plupart servant en garnison et jouant essentiellement un rôle de police sur un territoire donné.

Au cours de la Première Guerre mondiale, des unités renforcées de la Force publique congolaise combattirent l’Empire colonial allemand au Cameroun, au Rwanda, au Burundi, et durant la campagne d’Afrique de l’Est sur le territoire de l’actuelle Tanzanie. Elles remportèrent divers succès militaires (Tabora, Mahengé), gagnant le respect de leurs alliés portugais et britanniques et de leurs ennemis allemands.

Subissant les bombardements allemands sur les villes riveraines du lac Tanganyika et notamment le port d’Albertville (actuelle Kalemie), la Force publique, commandée par le général Tombeur et colonels Molitor et Olsen, répliqua le 18 avril 1916 et s’empara de Kigali le 6 mai 1916. Un mois plus tard, la ville d’Usumbura au Burundi, tombait face à la supériorité militaire de la Force publique. Le 17 juin, l’ensemble du Rwanda et du Burundi était occupé.

Au Tanganyika (Tanzanie), la brigade Molitor s’empara de Mwanza, avant de marcher sur Tabora, qui après plusieurs jours de combat acharné, finit par tomber le 19 septembre 1916. Les forces belgo-congolaises et britanniques occupèrent alors l’ensemble de l’Afrique orientale allemande malgré la vive résistance du général allemand Von Lettow-Vorbeck qui durera jusqu’à l’armistice de novembre 1918.

Après que la conférence de Versailles de 1919 confirma la dissolution de l’Empire colonial allemand, la Belgique obtint, en 1923, un mandat de la Société des Nations (SDN) sur le Ruanda-Urundi. Deux ans plus tard, ces territoires sont rattachés au Congo belge tout en ayant droit à un gouverneur belge distinct du gouverneur du Congo belge.

La participation de la Force publique à la Seconde Guerre mondiale commença avec l’invasion allemande de la Belgique en mai 1940. Malgré la capitulation de la Belgique, le Congo resta dans le conflit aux côtés des Alliés et fut administré par le gouvernement belge en exil, et fournit des matières premières indispensables, notamment de l’or et de l’uranium à la Grande-Bretagne et aux États-Unis.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Force publique congolaise représentait la majeure partie des Forces belges libres, comptant 40 000 hommes.

Les troupes congolaises de la Force publique se battirent aux côtés des forces britanniques dans la campagne d’Afrique de l’Est, et une unité médicale congolaise servit à Madagascar et lors de la campagne de Birmanie. Des formations congolaises furent également affectées à des tâches de garnisons en Égypte, au Nigeria et en Palestine.

3 brigades de la Force Publique furent envoyées en Afrique orientale italienne aux côtés des forces britanniques pour lutter contre les Italiens en juin 1940. En mai 1941, près de 8 000 hommes de la Force Publique, sous le commandement du major-général Auguste-Edouard Gilliaert, réussirent à couper la retraite des troupes italiennes du général Pietro Gazzera à Saio, dans les hauts plateaux éthiopiens après avoir marché plus de 1 000 km depuis leurs bases au Congo.

Les troupes souffrirent de paludisme et d’autres maladies tropicales, mais réussirent à défaire les Italiens dans un certain nombre d’engagements. Plus tard, Gilliaert accepta la reddition de Gazzera et de 7 000 soldats italiens dans un certain nombre de petits engagements. Au cours de la campagne d’Abyssinie, la Force Publique reçut la reddition de 9 généraux italiens, 370 officiers de haut rang et 15 000 hommes de troupes coloniales italiennes avant la fin de 1941.

Armée nationale congolaise : 1960-1971

En 1960, avec l’indépendance de la république du Congo de la Belgique, la Force Publique changea son nom en Armée Nationale Congolaise (ANC) et se trouvait plongée dans la crise congolaise.

Le 5 juillet 1960, soit 5 jours après la proclamation de l’indépendance, des troupes de la Force publique stationnées à Mbanza Ngungu (Thysville) se mutinèrent contre leurs officiers blancs et s’attaquèrent aussi à des civils européens ou congolais.

Des propos tenus aux soldats africains par le général belge Janssens, commandant la FP au camp principal des environs de Léopoldville, ont été à l’origine de cette mutinerie. Il leur avait déclaré que l’indépendance n’apporterait aucun changement dans leur rôle ou statut.

Cette flambée de violence conduisit immédiatement à une intervention de l’Armée belge pour assurer la sécurité de ses citoyens et plus généralement des Européens. Ce retour de l’ancienne puissance coloniale, sans l’accord du gouvernement congolais, se faisait en violation de la souveraineté nationale

Face à l’impréparation de la décolonisation (Il faut rappeler qu’avant l’indépendance, les militaires indigènes ne pouvaient être promus au-delà des grades de sous-officiers) et l’inexpérience du premier gouvernement, l’encadrement de l’armée fut hâtivement africanisé au détriment de toute valeur opérationnelle. C’est ainsi que du jour au lendemain Victor Lundula, ancien adjudant de la Force publique, fut promu général et commandant en chef de l’Armée Nationale Congolaise par le premier ministre Lumumba. De même, Joseph Mobutu, un ancien sergent-major de la Force publique, fut promu colonel et chef d’état-major de l’armée et vit sa montée en puissance avec l’aide des occidentaux jusqu’à prendre le pouvoir plus tard.

Durant les 5 années qui suivirent, la sécession des provinces minières du Katanga et du Sud-Kasaï, l’assassinat du premier ministre Patrice Lumumba, et la rébellion qui en résulta plongèrent le pays dans une crise sans précédent.

Soutenues par les Nations unies dans la crise katangaise, et assistées par les Etats-Unis, la Belgique, Israël et des mercenaires dans la reconquête du territoire rebelle, les troupes de Mobutu, parvinrent à pacifier quelque peu le pays.

Mobutu s’imposa alors comme une personnalité incontournable au Congo. Après avoir réorganisé l’appareil militaire à son avantage, il mit à profit sa position, et fort du soutien de la Belgique et de la CIA, il mena le 24 novembre 1965 un coup d’Etat contre Joseph Kasa-Vubu, premier président du pays.

Champion du bloc occidental contre l’avancée du communisme en Afrique subsaharienne, Mobutu et son armée bénéficièrent d’un appui technique déterminant de la part de la super-puissance américaine, de l’ancienne métropole belge et de la France. Ainsi, en mai 1968 les puissances occidentales aidèrent à la formation d’une brigade de parachutistes, composée de deux régiments, s’articulant eux-mêmes en trois bataillons.

Fin octobre 1971, Mobutu lança la politique du recours à l’authenticité, et le pays fut renommé « République du Zaïre ». Par conséquent l’Armée nationale du Congo (ANC) prit le nom de Forces armées zaïroises (FAZ).

La guerre civile angolaise

Soutenu par le camp occidental durant la guerre froide, Mobutu engagea en 1975 ses troupes dans la guerre civile en Angola, afin de soutenir le Front national de libération de l’Angola (FNLA) de Holden Roberto contre le MPLA, d’obédience marxiste, soutenu par l’URSS et au pouvoir depuis le 11 novembre 1975. Menaçant de prendre Luanda, la capitale, les troupes zaïroises furent finalement défaites par le corps expéditionnaire cubain venu au secours d’Agostinho Neto.

À la suite de cet échec, la politique angolaise de Mobutu s’intensifia avec le soutien des Forces armées zaïroises au Front de libération de l’enclave du Cabinda (FLEC) et plus tard à l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA).

En réaction, l’Angola ainsi que les troupes cubaines basées là, soutinrent en 1977, le Front national de libération du Congo (FNLC) et lancèrent en mars de la même année une offensive dans la riche province minière du Katanga, renommée Shaba en 1971.

La première guerre du Shaba

La première attaque, déclenchée le 7 mars 1977 et forte de 2 000 hommes, cibla les villes minières proches de la frontière, notamment Kolwezi. L’invasion ne rencontra qu’une résistance mitigée de la part des Forces armées zaïroises, pourtant en surnombre, équipées par les puissances occidentales et encadrées par des conseillers militaires américains, français et belges.

Face à cette difficulté, Mobutu fut contraint de demander l’assistance de ses alliés. La Belgique, les États-Unis et la France envoyèrent immédiatement un soutien aéroporté, l’Égypte fournit une cinquantaine de pilotes et techniciens renforçant de manière conséquente la Force aérienne zaïroise, enfin le Maroc déploya un contingent aguerri de 1 500 hommes.

Le parachutage des troupes françaises sur Kolwezi le 9 avril et la contre-offensive des forces zaïroises et marocaines le 14 avril, entamèrent la reconquête de la province, causant la fuite de 50 000 réfugiés vers l’Angola. Fin mai, le Shaba était sous contrôle et le régime de Mobutu sauvé.

Néanmoins, la contre-performance des FAZ, incapables de garantir seules la défense du pays, mit en exergue l’affaiblissement chronique des troupes de Mobutu, caractérisées par des officiers incompétents et corrompus, des soldats sous-payés qui préfèrent déserter plutôt que combattre. Mobutu réforma donc l’organisation interne de l’armée et la chaine de commandement. Il purgea les FAZ de 25 % de leurs effectifs, jugés déloyales et inefficaces, intégra l’état-major dans son cabinet présidentiel et cumula les fonctions de chef d’état-major, de ministre de la défense et de commandant suprême des FAZ.

Enfin, afin de garantir la sécurité dans la province du Shaba, il y assigna définitivement la division Kamanyola, troupe d’élite auparavant affectée à la défense de Kinshasa. Néanmoins, si, au terme de la première guerre du Shaba, Mobutu tenta de colmater les brèches, rien dans le fond ne changea. La logique de la guerre froide poursuivit son cours et ni Mobutu, ni Agostinho Neto ne se décidèrent à arrêter l’entretien des mouvements de guérilla (FNLA, FLEC et UNITA d’une part et FNLC d’autre part). Dès lors un second conflit paraissait inévitable.

La deuxième guerre du Shaba

Le leader du Front national de libération du Congo (FNLS), Nathaniel Mbumba, à la tête de ses « Tigres » katangais, bien équipés, aguerris et fort de l’encadrement d’officiers cubains et est-allemands, lança une offensive le 11 mai 1978 sur la ville de Kolwezi, et prit en otage les 3 000 Européens qui y résidaient. Après le ralliement d’une partie des troupes gouvernementales de Kolwezi, les FAZ furent défaites et Mobutu fut contraint une fois de plus de demander assistance à ses partenaires traditionnels, à savoir les Etats-Unis, la France et la Belgique.

Afin de protéger ses ressortissants, le 16 mai, la France mit en alerte le 2ème REP (régiment étranger de parachutistes), qui, par une attaque surprise (opération Bonite) rondement menée, se rendit entièrement maître de la ville en quelques jours, mit en fuite les rebelles katangais et fit évacuer les otages européens. Par la suite les parachutistes belges et les troupes d’une force africaine à dominante marocaine aidèrent la Légion étrangère et les FAZ à sécuriser la région.

Enfin, les Etats-Unis supervisèrent les négociations entre les gouvernements angolais et zaïrois en vue d’un accord de paix et de l’arrêt du support aux rébellions respectives en les deux pays. Le Zaïre interrompit momentanément son aide aux FLEC, FNLA, et UNITA, et l’Angola retira son soutien aux séparatistes du Shaba.

Guerres de Moba

En 1984 et 1985, les FAZ répriment l’insurrection du parti de la révolution du peuple de Laurent-Désiré Kabila lors des guerres de Moba, sur les bords du lac Tanganyika.

Les troubles du début des années 1990

Le cruel manque de discipline au sein des forces zairoises se manifesta de nouveau en 1990. En effet, avec le délitement du bloc de l’Est et la fin de la Guerre Froide, le soutien inconditionnel des occidentaux au Zaïre de Mobutu cessa. Ce dernier, conforté par les relations personnelles qu’il entretenait avec certains dirigeants occidentaux, continuait de croire en son impunité et laissa délibérément la condition des militaires se dégrader afin qu’il ne soit pas menacé dans sa maîtrise du pouvoir.

Mais, en septembre 1991, lors des violentes émeutes de Kinshasa, certaines garnisons de la capitale, mécontentes des bas salaires et des accumulations de retard de paie, finirent par prendre fait et cause pour les émeutiers. Et les troubles ne furent arrêtés que par la sanglante répression de la Division Spéciale Présidentielle (DSP), et par l’intervention des forces françaises (« opération Baumier ») et belges (« opération Blue Beam »).
La première guerre du Congo

En 1994, le Nord et le Sud Kivu vinrent l’arrivée d’immenses flots de réfugiés rwandais, composés de Tutsis, fuyant le génocide, puis de Hutus, fuyant les représailles du FPR qui a pris le pouvoir.

Paul Kagamé, leader du FPR et nouvel homme fort du Rwanda, dans sa stratégie entreprit d’armer les Banyamulenge et à la mi-octobre 1996, les camps humanitaires aux abords de Bukavu subirent les attaques de son armée et de la rebellion Banyamulenge dirigée officiellement par un vétéran de la rébellion lumumbiste, Laurent-Désiré Kabila. L’hôpital de Lemera est ainsi attaqué par des Banyamulenge et des soldats rwandais le 6 octobre 1996.

Partant de la frontière orientale, la rébellion, équipée et soutenue par le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et l’Angola dispersa les camps de réfugiés avant de faire marche vers l’ouest, prenant les villes de Goma, Bukavu et Kisangani, cette dernière étant prise le 15 mars 1997. Elle progresse direction du sud vers les régions minières du Katanga, dont la capitale Lubumbashi est prise le 9 avril 1997 et du Kassaï.

Les armées rebelles, structurées autour de Laurent-Désiré Kabila et de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), ne rencontrant pas de véritable opposition, occupèrent des régions abandonnées par les Forces armées zaïroises (FAZ). Celles-ci, à l’exception de quelques unités d’élite, ne recevaient plus de solde depuis des mois et battirent en retraite, se rendirent sans combattre ou intégrèrent même les forces rebelles.

Privé des régions fortes du Zaïre et abandonné par ses protecteurs occidentaux, le maréchal Mobutu fut incapable de faire face à la situation et ne réussit pas à imposer de cessez-le-feu à son adversaire.

Aussi, malgré l’élaboration d’un plan de paix de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) reposant sur la cessation des hostilités et sur l’ouverture d’un dialogue politique, les combats se poursuivirent. Sur le terrain, les forces de l’AFDL continuaient leur progression en direction de Kinshasa. De même, en dépit des pressions internationales, la rencontre, le 4 mai 1997, entre Mobutu et Laurent-Désiré Kabila à bord d’un navire sud-africain, n’aboutit pas.

Les dernières résistances d’unités d’élite mobutistes sont brisées le 12 mai 1997 lors de la bataille de Kenge. Le 17 mai 1997, les « Kadogo » de l’AFDL entrèrent dans Kinshasa avec l’appui de plusieurs armées étrangères (Rwanda, Ouganda, Burundi, Angola), acclamés par une population kinoise excédée par 32 ans de dictature et lassée du régime mobutiste.

Rejetant les symboles du régime honni, le nouveau pouvoir entreprit alors de gommer une partie des dénominations née de la zaïrianisation : le pays redevint ainsi la République démocratique du Congo, dont Kabila s’autoproclama président, le fleuve fut rebaptisé Congo, le franc congolais se substitua à l’ancien Zaïre, il en fut de même pour l’hymne national, la devise, ainsi que les forces armées qui prirent le nom de Forces armées congolaises (FAC).

La deuxième guerre du Congo

Ce conflit armé se déroule en RDC de 1998 à 2002, avec une fin formelle le 30 juin 2003. Cette guerre impliqua neuf pays africains, et une trentaine de groupes armés, ce qui en fait la plus grande guerre entre États dans l’histoire de l’Afrique contemporaine. Elle est aussi surnommée la « grande guerre africaine » ou encore la « (première) guerre mondiale africaine ».

Ce conflit a engendré de nombreux massacres et violations des droits de l’homme et entrainé, selon les sources, le décès de 183 000 personnes selon des démographes européens à environ 4 à 4,5 millions de personnes principalement de famine et de maladies selon un rapport l’International Rescue Committee. Des millions d’autres ont été déplacées de leurs terres ou ont trouvé refuge dans les pays voisins.

Quand Laurent-Désiré Kabila prend le contrôle de la capitale en 1997, il doit faire face à de nombreux obstacles pour gouverner le pays. En coulisse, de nombreux groupes tentaient d’accaparer des parcelles de pouvoir, notamment les débiteurs étrangers, désireux de garder leur influence. Par ailleurs, la présence ostensible des Rwandais dans la capitale irrita les Congolais, qui commençaient à voir Kabila comme le jouet de puissances étrangères.

Les tensions entre le nouveau pouvoir et le Rwanda atteignent leur paroxysme le 14 juillet 1998, quand Kabila limoge son chef d’état-major rwandais, James Kabarebe, et le remplace par un Congolais. Il semble que Kabila sentit avoir suffisamment assuré son assise congolaise, pour mettre quelque distance avec les nations qui lui avaient permis d’accéder au pouvoir.

Deux semaines plus tard, Kabila abandonna ces démarches diplomatiques. Il remercia le Rwanda pour son aide, et demanda le retrait du pays des forces militaires rwandaises et ougandaises. Les conseillers militaires rwandais furent évacués de Kinshasa en 24 heures sans ménagement.

L’offensive rebelle initiale déclenchée le 2 août 1998 menaça le gouvernement Kabila pendant quelques semaines, qui ne fut sauvé que par l’intervention rapide de plusieurs autres États africains (Zimbabwe, Angola, Namibie).

Cette guerre n’a pas été une guerre de grandes batailles et de lignes de fronts clairement définies. Si de nombreuses troupes régulières et entraînées ont été impliquées, les dirigeants de ces nations ont été réticents à impliquer leurs propres troupes en des combats ouverts. La vaste zone du Congo fragmenta les groupes armés, et dès lors les unités régulières ont essentiellement été stationnées autour de points stratégiques, tels les ports et aéroports, les routes importantes, plutôt qu’en des zones de combat.

Ainsi, la guerre a essentiellement été le fait de groupes militaires peu organisés. Ces troupes peu entraînées et peu disciplinées ont été à l’origine de fréquents crimes de guerre. La paix est d’autant plus difficile à établir que ces milices continuent leurs exactions, en dépit des cessez-le-feu décrétés par leurs supérieurs.

L’essentiel du conflit s’est focalisé sur le contrôle des ressources naturelles du Congo. Les États des Grands Lacs ont payé leurs dépenses militaires en exploitant les minéraux, diamants et bois rares du Congo oriental. Les forces d’occupation ont levé d’importantes taxes sur la population et l’économie locale, et réquisitionné les stocks de vivres de la région.

Une compétition pour le contrôle des ressources entre les forces anti-Kabila est aussi apparue dans le conflit. En 1999 et en 2000, les troupes ougandaises et rwandaises s’affrontèrent dans la ville de Kisangani. Venues principalement contrôler les richesses minières de la région, l’Armée patriotique rwandaise (APR) et l’Uganda People’s Defense Force (UPDF) ont également détruit ou endommagé un grand nombre de bâtiments (habitations, résidences, hôpitaux, espaces publics, commerces et lieux de culte) dont la centrale hydro-électrique de la Tshopo, l’Institut Lisanga et la cathédrale Notre-Dame.

Le RCD se scinda en deux factions, affaiblissant la coalition anti-Kabila et limitant désormais ses opérations à la partie orientale de la RDC.

La rébellion du CNDP et M23

En désertant les rangs de l’armée régulière pour former en 2004 la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), des soldats congolais tutsi avaient porté au grand jour des questions identitaires nourries de longue date. Au nom de la défense de l’intégrité de leur peuple, qu’ils jugeaient marginalisé par l’État central mais aussi le prétexte ressorti chaque fois par le Rwanda selon lequel ils seraient menacés par les génocidaires rwandais hutu venus se réfugier dans l’est du Congo en 1994, les mutins ont mené pendant cinq ans une guerre contre Kinshasa en occupant de vastes territoires du Nord-Kivu.

Dirigé par des commandants tels que Bosco Ntaganda, dit « Terminator », et Laurent Nkunda, le CNDP a été accusé de nombreux massacres contre les populations civiles.
Le 23 mars 2009, à la suite des accords de paix signés avec le gouvernement congolais, les quelque 6 200 combattants du CNDP ont été réintégrés dans l’armée régulière tout en espérant une reconnaissance officielle de leur mouvement sur l’échiquier politique national.

La rébellion du M23 est une continuation du combat qui prend place au Nord-Kivu, depuis la fin formelle de la guerre du Kivu de 2004 à 2009. En avril 2012, des soldats se sont mutinés contre le gouvernement congolais. Des mutins ont formé un groupe de rebelles composé d’anciens membres du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), appelé Mouvement du 23 Mars (M23). L’ancien commandant CNDP Bosco Ntaganda, est accusé de commander la mutinerie.

En mars 2009, le CNDP a signé un traité de paix avec le gouvernement, dans lequel il acceptait de devenir un parti politique en échange de la relaxe de ses membres en prison. Une partie des rebelles fut intégrée dans l’armée régulière congolaise. Le 4 avril 2012, il fut rapporté que Ntaganda et 300 membres des Forces armées de la RDC avaient déserté et se sont heurtés aux forces gouvernementales dans la région de Rutshuru au nord de Goma. Plusieurs rapports indiquent que des rebelles avaient reçu du soutien majeur du Rwanda.

A partir du 25 octobre 2013, les forces congolaises appuyées par une brigade d’intervention de l’ONU lancent une offensive avec des moyens lourds : plus de 3 600 militaires congolais déployant des chars T-55 et des véhicules de combat d’infanterie BMP-2 et la brigade de la force d’intervention de la MONUSCO appuyé par de l’artillerie, des Mi-35 de l’armée ukrainienne, 3 Denel AH-2 Rooivalk de la force aérienne sud-africaine (qui interviennent à partir du 4 novembre) lancent une offensive générale dans la zone de 700 km2 controlée par le M23.

Dans la nuit du 4 au 5 novembre 2013, l’armée congolaise chasse les combattants du M23, au nombre de 400 à 450, des dernières positions qu’ils occupaient dans les montagnes du Nord-Kivu, à la frontière du Rwanda et de l’Ouganda. Les pertes sont selon l’armée congolaise de 292 morts dans les rangs du M23.

Le 5 novembre, le M23 déclare qu’elle dépose les armes et deux jours plus tard, environ 1 600 membres du M23 se rendent aux autorités de l’Ouganda. Après l’échec de l’élaboration d’un premier document commun sur un accord début novembre, la RDC et le M23 signent le 12 décembre à Nairobi un accord de paix qui confirme la dissolution du M23, définit les modalités de la démobilisation et conditionne à l’abandon de la violence la reconnaissance des droits de ses membres.

9 ans après avoir été vaincu dans l’est du pays, le Mouvement du 23-Mars a refait parler de lui en mars 2022, en attaquant des positions de l’armée congolaise. Selon le M23, cette renaissance est en partie liée aux promesses non tenues de Kinshasa. Mais le rôle du Rwanda est également pointé du doigt et fondamental dans cette renaissance.

Pour tenter de mettre fin aux tensions dans l’est de la RDC et après l’échec d’un précédent accord de cessez-le-feu conclu en juillet, un accord a été trouvé à l’issue du sommet qui s’est tenu le 23 novembre 2022 en Angola, en présence de Félix Tshisekedi mais en l’absence de Paul Kagame, représenté par son ministre des Affaires étrangères, Vincent Biruta. Ce mini-sommet s’est tenu en présence du président burundais Évariste Ndayshimiye, aux côtés du chef de l’État angolais et médiateur désigné de l’Union africaine, Joao Lourenço et du facilitateur de la communauté Est-Africaine, Uhuru Kenyatta.

Les parties se sont accordées pour exiger le retrait des rebelles du M23 « des zones occupées » et leur « repli dans leurs positions initiales ». Le cessez-le-feu doit entrer en vigueur ce 25 novembre. Elles ont également entériné la poursuite du déploiement intégral de la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) décidée en juin. « Si le M23 refuse de se désengager et de libérer tous les territoires qu’ils occupent actuellement, les chefs d’État de l’EAC instruiront la force régionale à faire usage de la force pour les pousser à se soumettre », ajoute le texte de l’accord.

Conclusion et leçons à tirer

Au regard de cet aperçu historique de nos forces armées, force est de constater que depuis 1960, notre armée n’a jamais gagné une guerre seule sans appuis extérieurs, à quelques exceptions près.

Après tous les soubresauts qu’a connus notre pays, l’armée de la RDC était engagée dans un processus de reconstruction après la 2ème guerre du Congo finie en 2003. Le gouvernement, les Nations Unies (avec la Mission de l’Organisation des Nations unies en RDC, MONUSCO), l’Union européenne (avec sa mission militaire EUSEC RD Congo et sa mission en 2006 EUFOR RD Congo) et des partenaires bilatéraux comme l’Angola, l’Afrique du Sud et la Belgique avaient essayé de créer une force viable capable de réaliser les missions qui lui sont confiées, la plus importante étant la sécurité et la stabilité du pays.

Après quelques années, on s’est rendu compte que la réussite de ce processus comportait des limites dans la mesure où, il est important de le souligner, que les FARDC s’étaient constituées en partie sur base d’une tentative de regroupement et d’intégration (le « brassage » et le « mixage ») au sein d’une structure de commandement unique des forces militaires tant du gouvernement légal de Kinshasa que des anciens mouvements de rébellion qui ont divisé le pays, en particulier depuis la seconde guerre d’août 1998.

Il s’agit en particulier des mouvements Maï-Maï, des troupes du RCD Goma, du MLC de Jean-Pierre Bemba. De vieux antagonismes existent entre ces forces qui sont néanmoins censées opérer en harmonie au sein de l’armée et les tentatives d’intégrer des éléments militaires sous l’obédience du Général Laurent Nkunda au Nord-Kivu avaient montré la difficulté et les limites de cette stratégie. Les conflits internes dans l’armée sont de plus en plus fréquents.

L’idée du brassage et du mixage est née de l’accord conclu en 2003 à Sun City (Afrique du sud), après de longues négociations destinées à mettre fin à la guerre de 1998-2003 en RDC. Jusqu’en 2013, à chaque reddition, les miliciens étaient intégrés dans l’armée, leurs chefs obtenant des grades d’officiers dans les grandes unités. L’objectif était la construction d’une armée nationale mais malheureusement on s’est retrouvée avec une force non cohérente et désarticulée. Cette pratique a en réalité affaibli l’armée avec des infiltrations importantes en son sein des éléments qui continuent à faire allégeance à des gouvernements étrangers.

Aussi, on assiste à certaines pratiques entretenues par la mauvaise gouvernance du secteur de la défense, comme la corruption et des détournements de fonds destinés à l’armée, et le gouvernement congolais éprouve énormément de difficulté à gérer et contrôler les effectifs réels de ses forces armées (beaucoup de fictifs). Cela a été décrié dernièrement par le chef de l’Etat lui-même.

Au vu de tous ces maux profonds liés à la qualité de gouvernance qui minent notre armée, le pays n’arrive pas à dégager les ressources suffisantes pour se doter d’une armée régulière, bien formée, bien équipée et bien gérée. L’impossibilité de survivre dans ces conditions amènent nos forces armées à vivre sur le dos de la population par le biais d’exactions et de spoliations constantes, principalement en zones rurales.

La culture de prédation, chère à la classe politique congolaise, touche aussi certains officiers supérieurs de notre armée. Ils sont devenus tellement affairistes au point d’oublier les fondamentaux de l’armée. Beaucoup de rapports indépendants accusent certains officiers d’être impliqués dans pas mal de trafic de ressources naturelles et même de vendre les armes de l’armée aux ennemis. Ces rapports n’ont jamais été suivis de procès pour établir la vérité et sanctionner les coupables.

La paysannerie, déjà la partie la plus pauvre de la population, paye le plus lourd tribut alors qu’elle est celle qui devrait être protégée par l’armée qui exerce en principe un rôle de maintien de l’ordre public, aux côtés de la police nationale. On assiste donc à un retour à la situation que le pays a connue à la fin de l’ère mobutiste où les militaires étaient devenus la crainte majeure de la population.

Cette dramatique évolution s’est encore aggravée par le nombre croissant de violences sexuelles perpétrées par les bandes armées dans les campagnes dans un contexte de relative impunité, les poursuites engagées contre les auteurs de ces sévices par la juridiction militaire étant très limitées au regard de l’étendue du phénomène.

En définitive, l’armée congolaise ne se porte pas au mieux puisque l’Etat, comme disent les politologues, est en déliquescence depuis plusieurs décennies. Un Etat fort, fonctionnel aura automatiquement une armée forte, efficace et dissuasive.

Avec toutes les ressources naturelles dont dispose la RDC, les convoitises récurrentes des autres pays, son positionnement géographique (9 voisins), la RDC n’a pas de choix : pour sa survie, elle doit bâtir en toute priorité une armée forte, moderne et dissuasive par tous les moyens nécessaires (BY ANY MEANS NECESSARY comme le disait Malcom X). La RDC ne peut pas tomber dans la naïveté de sous-traiter et d’externaliser à long terme la sécurité de son territoire par des États qui convoitent ses ressources.

Pour bâtir un Etat fort, il est impérieux d’avoir la volonté politique de mettre d’urgence en place un programme sérieux de bonne gouvernance s’inspirant du modèle de gouvernance de Mo Ibrahim qui a l’avantage d’être pratique, mesurable et suivi.

L’Indice Ibrahim de la Gouvernance Africaine (l’IIAG) permet de voir, grâce à des indicateurs l’évolution de la vie des Africains. Au total 100 indicateurs définissent la gouvernance globale. L’IIAG mesure les résultats et les conséquences concrètes des politiques entreprises par les gouvernements des 54 pays africains. Ce qui lui permet chaque année d’établir un classement des bons et des mauvais élèves.

Les 100 indicateurs sont répartis en quatre grandes thématiques : sécurité et état de droit, participation et droits humains, développement économique durable et enfin développement humain. Concernant la sécurité par exemple, cela regroupe 26 indicateurs tels que l’indépendance de la justice, la corruption, les conflits armés internes ou les troubles sociaux. 26 critères également pour le développement humain de la qualité du système éducatif aux services sociaux en passant par accès au réseau sanitaire. C’est le développement économique durable qui regroupe le plus d’indicateurs, 29, comme la solidité des banques, la transparence des entreprises publiques, le soutien du système agricole ou encore l’état des diverses infrastructures.

Professeur d’Universités, chercheur et analyste politique, Dede Watchiba

Une.cd UNE.CD est un média en ligne basé à Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo, qui collecte, traite et diffuse des informations générales de la RDC, l'Afrique et le Monde. Grâce à nous, l'actualité vous suit partout en temps réel sur votre téléphone, tablette et ordinateur en un seul clic.