[Tribune] : NON RESPECT DE LA CONSTITUTION ET L’ETAT DE DROIT EN RDC (Dede Watchiba)

Une.cd

2 Décembre 2022 - 22:37
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[Tribune] : NON RESPECT DE LA CONSTITUTION ET L’ETAT DE DROIT EN RDC (Dede Watchiba)

Avec ma posture de politologue et de spécialiste en Droit public, j’interviens pour analyser et clarifier une problématique qui a toujours été volontairement occultée par les politiques congolais depuis 2006.

Je choisis ici 3 questions qui posent problème : la double nationalité, la non-retenue à la source de 40% des recettes à caractère national allouées aux provinces, ainsi que la nomination des maires et bourgmestres par ordonnance du chef de l’Etat. Ces pratiques sont en marge des dispositions constitutionnelles (Constitution de la RDC du 18 février 2006, modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la constitution de la RDC).

Ce qui me perturbe, dans un Etat qui se réclame de droit, c’est de voir qu’on continue de violer systématiquement depuis 2006 certaines dispositions constitutionnelles sans que cela ne dérange personne ; Curieusement, même les juridictions compétentes restent dans un mutisme déconcertant. L’établissement d’un Etat de Droit a toujours été pourtant le cheval de bataille de l’UDPS, aujourd’hui au pouvoir.

Il est important de rappeler ici que, sur le plan conceptuel, l’État de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit.

Cette notion, d’origine allemande (Rechtsstaat), a été redéfinie au début du vingtième siècle par le juriste autrichien Hans Kelsen, comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures. Un tel système suppose, par ailleurs, l’égalité des sujets de droit devant les normes juridiques et l’existence de juridictions indépendantes.

L’existence d’une hiérarchie des normes constitue l’une des plus importantes garanties de l’État de droit. Dans ce cadre, les compétences des différents organes de l’État sont précisément définies et les normes qu’ils édictent ne sont valables qu’à condition de respecter l’ensemble des normes de droit supérieures. Au sommet de cet ensemble pyramidal figure la Constitution, suivie des engagements internationaux, de la loi, puis des règlements. A la base de la pyramide figurent les décisions administratives ou les conventions entre personnes de droit privé.

Cet ordonnancement juridique s’impose à l’ensemble des personnes juridiques. L’État, pas plus qu’un particulier, ne peut ainsi méconnaître le principe de légalité : toute norme, toute décision qui ne respecteraient pas un principe supérieur seraient en effet susceptibles d’encourir une sanction juridique. L’État, qui a compétence pour édicter le droit, se trouve ainsi lui-même soumis aux règles juridiques, dont la fonction de régulation est ainsi affirmée et légitimée. Un tel modèle suppose donc la reconnaissance d’une égalité des différents sujets de droit soumis aux normes en vigueur.

L’égalité des sujets de droit constitue en effet la deuxième condition de l’existence d’un État de droit. Celui-ci implique que tout individu, toute organisation, puissent contester l’application d’une norme juridique, dès lors que cette dernière n’est pas conforme à une norme supérieure. Les individus et les organisations reçoivent en conséquence la qualité de personne juridique : on parle de personne physique dans le premier cas, de personne morale, dans le second.

L’État est lui-même considéré comme une personne morale : ses décisions sont ainsi soumises au respect du principe de légalité, à l’instar des autres personnes juridiques. Ce principe permet d’encadrer l’action de la puissance publique en la soumettant au principe de légalité, qui suppose au premier chef le respect des principes constitutionnels. Dans ce cadre, les contraintes qui pèsent sur l’État sont fortes : les règlements qu’il édicte et les décisions qu’il prend doivent respecter l’ensemble des normes juridiques supérieures en vigueur (lois, conventions internationales et règles constitutionnelles), sans pouvoir bénéficier d’un quelconque privilège de juridiction, ni d’un régime dérogatoire au droit commun.

Les personnes physiques et morales de droit privé peuvent ainsi contester les décisions de la puissance publique en lui opposant les normes qu’elle a elle-même édictées. Dans ce cadre, le rôle des juridictions est primordial, et leur indépendance, une nécessité incontournable.

Pour avoir une portée pratique, le principe de l’État de droit suppose l’existence de juridictions indépendantes, compétentes pour trancher les conflits entre les différentes personnes juridiques en appliquant à la fois le principe de légalité, qui découle de l’existence de la hiérarchie des normes, et le principe d’égalité, qui s’oppose à tout traitement différencié des personnes juridiques. Un tel modèle implique l’existence d’une séparation des pouvoirs et d’une justice indépendante. En effet, la Justice faisant partie de l’État, seule son indépendance à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif est en mesure de garantir son impartialité dans l’application des normes de droit.

Par ailleurs, les juridictions doivent être en mesure de confronter les différentes normes, afin de juger de leur légalité, y compris s’il s’agit de règles ayant un rang élevé dans la hiérarchie. Une loi ou une convention internationale contraire à la Constitution doit ainsi être écartée par le juge et considérée comme non valide. L’État de droit suppose donc l’existence d’un contrôle de constitutionnalité. Compte tenu du caractère complexe d’un tel contentieux, Kelsen a proposé de le confier à une juridiction unique et spécialisée, ayant la qualité de Cour constitutionnelle.

L’État de droit est avant tout un modèle théorique. Mais il est également devenu un thème politique, puisqu’il est aujourd’hui considéré comme la principale caractéristique des régimes démocratiques. En faisant du droit un instrument privilégié de régulation de l’organisation politique et sociale, il subordonne le principe de légitimité au respect de la légalité. Il justifie ainsi le rôle croissant des juridictions dans les pays qui se réclament de ce modèle.

1. De la double nationalité

D’entrée de jeu, je dois préciser qu’intellectuellement parlant, je suis personnellement pour le principe de la double nationalité, même si je n’ai jamais acquis une autre nationalité. Mais pour le moment, le Droit positif congolais rejette cette possibilité.

L’article 10 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006 dispose : « la nationalité́ congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre. » Cette disposition est reprise de l’article 1er de la loi n°004/020 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité́ congolaise.

L’article 26 de la même loi dispose que toute personne qui acquiert une nationalité́ étrangère perd la nationalité́ congolaise. Il en découle que l’acquisition de la nationalité́ étrangère par un congolais et l’acquisition de la nationalité́ congolaise par un étranger entraînent la perte de la première nationalité́, respectivement la nationalité́ congolaise et la nationalité́ étrangère.

L’unité́ et l’exclusivité́ de la nationalité́ congolaise figurent dans les textes constitutionnels, de la Constitution de Luluabourg du 1er août 1964 à la Constitution de la RDC du 18 février 2006.

Comme je l’ai déjà mentionné dans l’une de mes précédentes tribunes, Il est un secret de polichinelle que certains de nos dirigeants en RDC disposent d’autres nationalités étrangères. Il y a une sorte d’omerta là-dessus. Je fustige cette hypocrisie collective qui met à mal l’Etat de droit en RDC. Sur le plan du Droit, cette réalité sociologique est en marge de la légalité. Dans un Etat de droit, on ne peut pas continuer d’évoluer avec ces violations manifestes de notre Constitution.

Si on vérifiait la nationalité de nos responsables publics, on se rendrait compte qu’on est juridiquement en pleine « recolonisation de la RDC par des belges noirs ». Et cela est un acte de trahison aux yeux de notre constitution. Et ce qui est regrettable est que cette réalité date de 2006 avec quelques responsables qui ont eu aussi la nationalité tanzanienne, rwandaise, française, belge, canadienne, américaine, etc.

Pour ne pas continuer à tordre l’Etat de droit et pour plus de sérieux, il y a donc urgence de reformer la constitution et cette loi sur la nationalité en vigueur pour prévoir la double nationalité ou carrément mettre hors d’état de nuire tous ces responsables « étrangers » qui occupent indument les fonctions qui doivent revenir aux congolais.

Ce qui est aberrant est que, curieusement et paradoxalement, dans le débat sur la nationalité, c’est souvent ces personnes qui, juridiquement ne sont plus congolaises, qui sont plus radicaux pour qu’on garde le principe d’une nationalité « une et exclusive ».

Selon moi, la possibilité d’une double nationalité́ peut être prévue pour les congolais d’origine et pour les ressortissants des États dont les lois n’excluent pas cette possibilité et qui sont devenus congolais par acquisition de la nationalité.

2. De la retenue à la source de 40% des recettes à caractère national allouées aux provinces

L’article 175, alinéa 2 de la constitution du 18 février 2006 dispose : « la part des recettes à caractère national allouées aux provinces est établie à 40%. Elle est retenue à la source ».

Cette disposition constitutionnelle n’a jamais été respectée par les autorités centrales depuis 2006. Les difficultés du gouvernement central d’effectuer la rétrocession aux provinces ne datent pas d’aujourd’hui. Tous les gouvernements passés au niveau national n’ont pas réussi à s’acquitter de cette exigence, bien que consacrée par la Constitution. Ceci est une violation flagrante d’une disposition constitutionnelle.

La question de la rétrocession suscite de sérieux débats entre l’Exécutif national et ces entités administratives décentralisées, qui se plaignent de manquer des moyens de leur politique, dans un contexte de décentralisation. Les exécutifs provinciaux peinent dans l’exécution de leurs programmes de développement. De nombreux gouverneurs des provinces jugeaient insignifiant ce que le gouvernement leur donnait à chaque fois en lieu et place de la rétrocession.

Avec un taux de rétrocession faible, les provinces congolaises ne sont pas en mesure de mettre en œuvre les compétences leur reconnues par la constitution. L’atrophie des budgets provinciaux ne laisse aux gouverneurs et à leurs gouvernements que d’infimes moyens d’intervention une fois payés difficilement les salaires et les frais de fonctionnement et les condamnent finalement à l’inaction.

Le processus de mise en œuvre de la décentralisation est de ce fait bloqué. Les axes stratégiques en termes de délégation des compétences et de transfert des financements qui auraient dû accompagner ce développement local n’ont pas vu le jour. La décentralisation est donc restée théorique. Le problème de fond est plutôt structurel et pousse à croire que la gouvernance en RD Congo n’est pas tournée vers le bien-être de la population.

La décentralisation ne peut se comprendre que lorsque les acteurs politiques œuvrent pour le bien-être collectif. Donc des mécanismes doivent être mis en place afin d’approcher les décideurs de la population locale pour bâtir ensemble plus de cohésion sociale. Mais lorsque les institutions s’écartent de cet objectif, lorsque les assemblées provinciales servent plutôt à créer de nouvelles élites qui viennent également s’enrichir sur le dos de l’État sans penser à l’intérêt populaire, alors la décentralisation est condamnée à l’échec. Peu ou pas payés, les agents locaux font leur travail de manière à se payer eux-mêmes.

Il y a un fossé entre les textes et la pratique et on remarque encore des réflexes réfractaires à la décentralisation et une tendance à retourner vers la forme passée des régimes au pouvoir excessivement autoritaires et centralisés.

3. De la nomination des maires et bourgmestres par ordonnance du chef de l’Etat

Le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, a signé vendredi 25 novembre 2022, plusieurs ordonnances présidentielles portant nomination des maires et bourgmestres sur toute l’étendue du territoire national, à l’exception des provinces sous état de siège.

Or, la Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les Provinces, dispose en son article 12 : « Le Conseil urbain élit le Maire et le Maire – adjoint dans les conditions fixées par la loi électorale » et en son article 56 : « le Bourgmestre et le Bourgmestre – adjoint sont élus au sein ou en dehors du Conseil communal dans les conditions fixées par la loi électorale. Ils sont investis par arrêté du Gouverneur de province dans les quinze jours de la proclamation des résultats ».

En Droit public, les compétences sont d’attribution. Donc, sur le plan du Droit administratif, les ordonnances présidentielles du 25 novembre 2022 sont entachées d’irrégularité. Tout cela est dû au fait que depuis 2006, aucune autorité ne voit la nécessité d’organiser les élections locales pourtant prévues par la constitution. Le Conseil d’Etat, qui est le juge de la légalité, devrait statuer là-dessus pour être en conformité avec l’Etat de droit.

Tant qu’on n’aura pas eu d’élections locales, on sera buté à ce genre de désagréments juridiques. Heureusement que la CENI vient d’annoncer la tenue des élections locales en 2023.

Conclusion

En définitive, un Etat de droit passe par le respect de la hiérarchie des sources de Droit. A quoi bon d’avoir des textes de Droit si on ne les respecte pas et si on ne les applique pas ? Le respect de l’Etat de droit est un des piliers de la démocratie. Tout cela est à structurer. C’est comme cela qu’on pourra changer le fameux narratif.

Professeur d’Universités, chercheur et analyste politique, Dede Watchiba

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